Une mystérieuse, troublante et mémorable énigme
Cinquième partie : Juillet 2011
par J. J. (Joe) Healy, Surintendant de la GRC (retraité)
dont les noms seront bientôt révélés
policier, historien et ami
1er janvier 1931 - 22 février 2011
Jack connaît maintenant le secret d’une grande énigme canadienne
Une série de mystères
Cinquième partie: Le commissaire adjoint Alexander Neville Eames,
OBE, RGCN-O et GRC
Vie, traditions, revers, solitude et héritage
Avant-propos
Un grand nombre de personnes ont joué un rôle dans la vie d’Alexander Neville Eames. Comme dans toute pièce de théâtre, il y a un protagoniste et un antagoniste, le bien et le mal, le héros et le vaurien, le policier et le bandit.
Dans cette histoire précise, « Une mystérieuse, troublante et mémorable énigme », l’acteur principal est A. N. Eames. Je ne parlerai pas du trappeur fou. Je me concentrerai plutôt sur le protagoniste et de sa remarquable carrière, laquelle comprend le rôle qu’il a joué lors d’un meurtre survenu dans l’Arctique en 1932.
J’ai pris grand plaisir à me renseigner et à écrire sur la vie et l’époque de A. N. Eames. Dans le passé, je l’ai décrit comme un héros, mais cela ne signifie pas que je le vénère pour autant. Nous avons tous nos défauts, A.N. Eames et moi-même inclus. Nous avons tous, à un moment ou l’autre, été aux prises avec nos faiblesses, mené des combats et subi des revers. Je vois Eames comme un grand-père plein de sagesse de qui j’ai appris de précieuses leçons de vie.
Le commissaire adjoint Alexander Neville Eames – Vie et traditions
Commissaire adjoint A.N, Eames OBE, RGCN-O et GRC
Né le 26 décembre 1883
Décédé le 13 janvier 1965
dont les noms seront bientôt révélés
Voici la remarquable carrière d’Alexander Neville Eames.
A.N. Eames a eu une brillante carrière à la GRC. Travailleur infatigable, ses supérieurs n’ont pas tardé à remarquer sa grande persévérance; il était rapide, intelligent, fiable et digne de confiance. À 29 ans, fort d’une expérience considérable, il s'est engagé dans la Force. Il avait clairement indiqué dans sa demande d’emploi qu’il savait monter à cheval. Il a vite fait d’être remarqué par le commissaire A.B. Perry. Alors qu’il était à Calgary comme quartier-maître et commis de la poste, il a fait preuve d’une éthique du travail si impressionnante que son inspecteur demanda au commissaire de lui verser 0,25 $ de plus par jour. La demande a été approuvée.
Cénotaphe « Dépôt »
Eames a rapidement gravi les échelons et a atteint une renommée inattendue à la suite du rôle important qu’il a joué, comme inspecteur responsable, dans la poursuite, la capture et la mort du trappeur fou. Il a aussi eu une vie personnelle apparemment heureuse.
Ses supérieurs pouvaient compter sur lui, et il a été muté plusieurs fois là où l’on avait besoin de lui. En 1919, il a été choisi pour inaugurer le détachement de Pincher Creek en Alberta. Il a finalement été nommé commandant de deux provinces et, alors qu’il était affecté en Nouvelle-Écosse, on lui a décerné la prestigieuse décoration de l’Ordre de l’Empire britannique (O.B.E.) pour les années de service qu’il avait consacrées au Canada, particulièrement durant la Seconde Guerre mondiale. Il m’a donc été très difficile de croire, lorsque je l’ai appris, qu’un triste voile assombrissait sa mort.
Une chose est certaine : après la mort, la vie d’un individu ne peut être connue complètement – il s’y trouve toujours des trous, des choses qui n’ont été ni dites ni officiellement consignées. Le biographe a le privilège de choisir ce qu’il veut. Cela peut être à l’avantage de la personne décédée étant donné qu’il est de règle, dans la plupart des cas, de mettre l’accent sur les aspects positifs de sa vie.
De même, un éloge funèbre ne s’attarde jamais sur les éléments peu édifiants d’une vie. Eames mérite tous les compliments qu’on a faits sur son travail. Il insistait cependant pour que les félicitations qui lui étaient adressées soient plutôt dirigées vers ses subordonnés et d’autres personnes. Cette humilité a toujours été un trait de sa personnalité.
Pour illustrer les paroles aimables que Eames avait pour les autres, je me reporte aux documents des Archives du Canada et au rapport intitulé The Report of the Royal Canadian Mounted Police (1934) for the Eighteen Months Ended March 31, 1934. Eames souligne, dans ce rapport, l’aide fournie par chaque homme qui a participé la poursuite et les sacrifices que chacun a dû faire. Il s’efforce de plus de n’oublier aucune des personnes qui avaient généreusement prêté main-forte à la GRC.
L’anecdote suivante illustre bien la réticence qu’il éprouvait à parler ouvertement de sa carrière. En 1948, son neveu, John Eames, est venu d’Angleterre rendre visite à son oncle Alex à Vancouver et qui, semble-t-il, ne tenait pas du tout à parler d’anciens faits policiers à son neveu. Selon John Eames, quand il était question de ses années dans la Force, l’oncle Alex était plutôt comme un vieux colonel de l’Armée britannique… il était allé au front, mais ne voulait pas en parler.
Le neveu John est rentré en Angleterre sans avoir appris quoi que ce soit sur la carrière de policier de son oncle Alex. Par la suite, John Eames écrivait au commissaire pour avoir des précisions sur la carrière de son oncle et pour savoir si c’était bien lui qui avait participé à la poursuite du trappeur fou. Pauvre John Eames! Tout aussi évasif que l’oncle Alex, le commissaire S.T. Wood se contentait de préciser, dans sa réponse, que durant la carrière de A.N. Eames ‘... l’affaire Albert Johnson a fait surface’. (Note de service de S.T. Wood au sujet du dossier Eames, datée du 6 octobre 1950) Je ne peux m’expliquer pourquoi le commissaire n’a pas répondu à la demande de John Eames. Il aurait pu lui envoyer un exemplaire du rapport annuel de 1934 qui traite de l’affaire, de A. N. Eames, de la GRC et du trappeur fou. Il est également étrange que l’oncle Alex n’ait soufflé mot de l’affaire à son neveu d’Angleterre.
J’ai intitulé cette cinquième partie : A.N. Eames: Vie, traditions, revers, solitude et héritage. J’ai la chance de posséder une copie du dossier de ses états de service que j’ai beaucoup consultée. Le dossier de reg. #5700, matricule 0.209, A.N. Eames a été un outil précieux qui m’a permis de le suivre dès son entrée à la RGCN-O en 1913 jusqu’en 1946, année où il a pris sa retraite. Ce document a aussi jeté un peu de lumière sur sa vie personnelle.
Depuis quelques mois, je tente de démêler les fils d’une mystérieuse énigme – certainement l’une des plus fascinantes de l’histoire de la GRC. J’ai fait allusion à certains faits connus. D’abord, le mystère qui entoure A.N. Eames a pris forme il y a bien longtemps. Eames est mort à North Vancouver en 1965 à peu près au moment où j’ai quitté la Division « Dépôt » pour le détachement de Burnaby dans la vallée du bas Fraser en Colombie-Britannique. Deuxièmement, Eames est surtout connu pour sa participation à la poursuite du trappeur fou. À cette époque-là, l’inspecteur Eames était l’officier responsable de la région arctique de l’Ouest de la GRC.
L’affaire du trappeur fou a commencé vers la fin de 1931 et s’est poursuivie pendant environ sept semaines jusqu’au début de 1932. C’est l’histoire d’un homme mystérieux qui a blessé un agent de la GRC et un militaire canadien. Il a tué un autre agent de la GRC et, pour cette raison, a fait l’objet d’une vigoureuse chasse à l’homme de la part de la GRC. Cet homme, nommé « Albert Johnson », n’a jamais été identifié avec certitude.
Eames a dirigé la chasse à l’homme et a fait preuve d’un grand courage. Il lui est même arrivé, ainsi qu’à certains de ses hommes, alors qu’il faisait quarante sous zéro, de garder à l’intérieur de ses vêtements, collées près de son corps, quatre livres de dynamite afin que celle-ci puisse dégeler avant d’être mise à feu et lancée sur la cabane de Johnson. À une autre occasion, après avoir lancé la dynamite, Eames et le trappeur Garlund se sont précipités sur la cabane de Johnson, certains de l’avoir tué, pour se retrouver subitement presque face à face avec Johnson. De l’intérieur de sa cabane, Johnson a fait feu sur Eames et Garlund sans toutefois les atteindre – ils se trouvaient cependant suffisamment près pour que les tirs de Johnson arrachent une lampe de poche des mains de Garlund. Troisièmement, l’énigme nous amène aux derniers jours d’Alexander Neville Eames. Il a été décidé, je présume selon la volonté de A.N. Eames, que me serait laissé un souvenir très particulier et très personnel de sa vie. Il m’est parvenu par l’entremise d’amis fidèles. Je me suis toujours beaucoup intéressé à la remarquable carrière de Eames et je tiens aujourd’hui à honorer sa mémoire.
Alexander Neville Eames est devenu membre de la Royale gendarmerie à cheval du Nord-Ouest le 9 août 1913 à l’âge de vingt-neuf ans. Il était arrivé au Canada peu avant en provenance du district de Abergavenny, au Pays de Galles.
Lorsqu’on remonte dans le temps jusqu’à sa vie en Grande-Bretagne, on apprend qu’il est né le 26 décembre 1883 et qu’il était le quatrième d’une famille de six enfants de William et Sarah Eames. On peut en déduire que Eames était un homme humble, car il n’a jamais parlé du statut social de sa famille, ni du fait que ses parents avaient à leur service une gouvernante et d’autres domestiques. Sa famille a dû être relativement à l’aise.
On ne sait rien des premières années d’études de Eames au Pays de Galles, sauf qu’il était instruit et s’exprimait avec aisance. Il est possible qu’il ait été scolarisé à la maison par la gouvernante. Et, comme il savait manier la plume, ses supérieurs ont tôt fait de le remarquer dès le début de sa carrière. Dans sa demande d’emploi présentée à la Force, il a indiqué qu’il était garde des eaux et forêts. Une lettre de recommandation le décrit comme « rigoureusement sobre, honnête et toujours prêt à travailler fort ». Il est débarqué à Québec le 5 août 1913 comme passager du navire « Sicilian ». À Québec, il acheta un aller simple par train (22,50 $) pour Regina, Saskatchewan. Fait intéressant, environ une trentaine d’hommes provenant d’Angleterre, d’Irlande et des États-Unis, inscrits sur la liste des passagers du « Sicilian », se dirigeaient aussi vers Regina.
PROMOTIONS DE L’OFFICIER 0.209 – COMMISSAIRE ADJOINT A.N. EANESNomination de A.N. Eames au poste d’inspecteur
Eames est demeuré à Regina du mois d’août 1913 à décembre de la même année. Il a ensuite été transféré à Red Deer en Alberta. Il s’est distingué tôt dans sa carrière. Son commandant divisionnaire le considérait comme l’un des plus intelligents et des plus appliqués de ses sous-officiers, un employé très efficace et toujours consciencieux. En mars 1917, Eames est promu caporal et devient, peu après, sergent quartier-maître suppléant à Calgary. Dans ses nouvelles fonctions, il reçoit 0,50 $ de plus par jour, ce qui arrive à point nommé vu qu’il s’apprêtait à se marier et que tout revenu supplémentaire serait fort utile. Le 14 juillet 1917 en l’église anglicane St. Luke de Red Deer, district de Calgary, Eames épouse Margaret Louise Chalmers. Il s’adapte tellement bien à ses nouvelles responsabilités de sergent suppléant et de mari, que son commandant divisionnaire écrit deux lettres de recommandation en vue d’une promotion. Ses propos sont si élogieux que le commissaire juge bon de confirmer la promotion de Eames au poste de sergent, le 17 décembre 1917, quelques jours avant le congé de Noël. Le commandant divisionnaire décrit Eames comme un homme de grand talent pratiquant une éthique de travail exceptionnelle. Il semble que Eames avait la réputation d’être extrêmement compétent, attentif et efficace. Le nouveau sergent avait aussi un sens aigu du devoir.
Communiqué annonçant la promotion du surintendant A.N. Eames au poste de commandant divisionnaire de la Division « H ».
En avril 1918, Eames se porte volontaire pour se rendre outre-mer avec le Corps expéditionnaire canadien de la Cavalerie de la Royale gendarmerie à cheval du Nord-Ouest (Service militaire no 2684314). Il est envoyé en Angleterre où il arrive le 18 mai 1918, soit six mois avant le jour de Armistice. Il est ensuite envoyé en France. Il occupe le rang de caporal suppléant auprès de la Canadian Light Horse et il aurait pris part aux combats. Il s’est vu décerné la Médaille pour services généraux et la Médaille de la victoire. Il obtient son licenciement du Corps expéditionnaire canadien le 14 mars 1919 et revient au Canada le même mois.
Dès son retour, il poursuit sa carrière à la RGCN-O où il compte déjà sept années de service. On le recommande pour le poste de sergent d’état-major, mais, à sa grande stupéfaction, le QG décline l’avis de son supérieur. Il est plutôt nommé inspecteur le 1er février 1920 au salaire annuel de 1 200 $. Il est alors affecté à Lethbridge, Alberta, et chargé de mettre sur pied le détachement de Pincher Creek.
A.N. Eames a été inspecteur pendant 16 ans. Il a été transféré à Edmonton en 1920, à Fort Norman (TN-O) en 1924, à Vancouver en 1926 et à l’île Herschel en 1929.
Télégramme de félicitations envoyé au commissaire adjoint Eames, O.B.E., par le commissaire S.T. Wood en 1946
C’est à cette période qu’à titre d’officier commandant de la Sous-division de l’Arctique de l’Ouest dans les Territoires du Nord-Ouest, Eames participe à la chasse à l’homme organisée pour débusquer le trappeur fou. Cette poursuite, qui s’est déroulée au cours de l’hiver 1932-1933, a été un haut fait de sa carrière.
En novembre 1936, au lendemain de cette notoire chasse à l’homme, Eames est promu surintendant. Au cours des années suivantes, Eames continue de gravir les échelons au sein du Corps des officiers et devient surintendant principal de la Force.
Son succès professionnel se poursuit et il est nommé commissaire adjoint en avril 1943. Ses dernières affectations l’amènent à la Division « F » (Saskatchewan), à titre de commandant divisionnaire, et finalement à la Division « H » (Nouvelle-Écosse). En juillet 1946, il est décoré de l’Ordre de l’Empire britannique et peu après, le 15 août 1946, il quitte la Force pour prendre sa retraite. Sa pension s’élève à 3 700 $ par année.
Le commissaire adjoint Eames s’est retiré sur la côte ouest du Canada et y a passé près de 20 ans. Eames et sa femme n’ont pas eu d’enfant, mais ils ont parcouru la Colombie-Britannique et ont renoué avec d’anciens amis. Eames est resté en contact avec des officiers toujours en activité ainsi qu’avec le commissaire.
A.N. Eames est décédé le 13 janvier 1965 à l’âge de 81 ans, chez lui à North Vancouver. Fait paradoxal, c’est dans la mort que prend forme l’énigme de la vie de Eames.
La présente partie porte sur un segment de la vie de A. N. Eames. Dans la prochaine partie, je dévoilerai un secret au sujet de la fin de sa vie et de la solitude qui a marqué ses dernières années. Je révélerai aussi les noms de tous mes amis, d’est en ouest, qui m’ont aidé à rassembler les souvenirs concernant le commissaire adjoint Eames. Je leur en suis sincèrement reconnaissant.
Photo du commissaire adjoint A.N. Eames au moment de son départ à la retraite 1946
Dans la dernière section, je présenterai un résumé du précieux héritage qu’a laissé un Canadien remarquable et inoubliable, le commissaire adjoint A.N. Eames.
Je tiens à mentionner que j’ai reproduit, dans la présente partie, deux articles de journaux : l’un provient du Calgary Herald et porte la date du 18 janvier 1965 et l’autre est, je pense, tiré du Halifax Chronicle Herald, mais la source véritable n’était pas indiquée sur le document qui se trouvait aux Archives. Je tiens à remercier les auteurs de ces deux articles.
Je tiens aussi à remercier mes amis des Archives nationales du Canada à Ottawa qui m’ont aidé à repérer des dossiers que je n’aurais jamais pu retrouver sans eux. Archives Canada offre une aide inestimable, et ses employés sont d’un grand professionnalisme et toujours disposés à aider. Merci.
J. J. Healy @ Fort Healy
Le 23 juin 2011
Première partie : mars 2011 - 'La livraison d’un colis longtemps attendu'
Deuxième partie : avril 2011 - 'Les héros de mon passé'
Troisième partie : mai 2011 - 'Un meurtre peu ordinaire'
Quatrième partie : juin 2011 - 'Une affaire de famille : un secret bien gardé'
Sixième partie : août 2011 - '0.209, A.N. Eames : Revers, solitude et héritage'
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